Penser que le taux d’intérêt est un levier de politique économique en cas de tensions inflationnistes peut sembler comme une gageure au processus d’acheminement à effets tortueux et complexes.
Éclairage par Yassine Zarrougui* sur la relation taux d’intérêt – inflation
Visiblement, par l’entremise des marchés financiers, il y a une relation foncièrement conflictuelle, enchevêtrée voire contradictoire entre taux d’intérêt et taux d’inflation. Pourtant, la régulation d’une économie souffrant de déséquilibre, via le taux d’intérêt, peut être rendue plausible si et seulement si la condition de confiance des acteurs économiques est satisfaite.
Comment cette relation peut-elle être mise en exergue ? Quels sont les rouages des acheminements possibles ? Et quelle est la probabilité de succès ? A première vue et au plan analytique les mécanismes de déclinaison sont multiples.
Offre et demande de ressource, un noeud de passage indispensable
Vu du côté de la demande de ressource, le taux d’intérêt (débiteur) représente le coût de la ressource supporté par les investisseurs, entreprises et particuliers, en vue de réaliser leurs projets économiques. Ce taux est une charge justifiée économiquement par la mise à disposition des fonds sous forme de crédits bancaires en une seule fois ou en tranches et dont le remboursement est étalé dans le temps. Pour l’investisseur, elle est répercutée dans le prix du produit vendu et/ou dans le prix de revient global du projet. Le taux d’intérêt débiteur est ouvertement une composante induite de l’inflation.
Du point de vue de l’offre de ressource, le taux d’intérêt (créditeur) représente une rémunération versée par les banques aux épargnants afin d’accepter de se dessaisir de leurs économies qu’elles injecteront à leur tour dans le circuit de financement des projets d’investissement. Le taux d’intérêt créditeur rentre de facto dans le calcul du taux d’intérêt débiteur lui-même une partie intégrante du coût induit de l’inflation.
Taux d’intérêt, une résultante de l’offre et de la demande de ressource
La relation entre taux d’intérêt et inflation est cristallisée via la confrontation de l’offre et la demande de ressources puis au travers de la mise en adéquation de l’investissement et de l’épargne. La régulation de l’économie par le truchement de ces indicateurs se faisant dans l’enceinte d’une entité souvent virtuelle, le marché financier, et dont les banques en sont des acteurs de taille. Celles-ci sont chargées de l’intermédiation entre des agents ne se connaissant pas, que sont : les investisseurs et les épargnants et dont la viabilité et la floraison de l’économie en dépendent viscéralement. Les banques jouent un rôle centrale de mise en relation et assurent une courroie de transmission essentielle pour les politiques de régulation d’une économie en souffrance de surchauffe et/ou d’atonie. Un rôle qui leur est dévolu par la banque centrale ou la banque des banques via son action sur les taux directeurs.
Action de la Banque Centrale via le taux directeur
De manière abrégée, un taux directeur est le coût d’emprunt de ressource qu’une banque supporte auprès de la banque centrale. Sans l’ombre d’un paradoxe, le taux directeur rentre aussi bien dans la formation du taux débiteur compte tenu du coût de la ressource additionnelle nécessaire à la satisfaction de la demande de financement que le taux créditeur eu égard à la mise en comparaison du coût de la ressource et de sa mise à disposition dans les temps impartis lors des échéances des dépôts. La ressource monétaire a cette qualité de fongibilité rendant le recours à l’emprunt auprès de la banque centrale systémique étant entendu que le besoin de retrait d’un déposant ne peut souffrir de délai et doit être satisfait à première demande.
Partant de là, comment le taux d’intérêt peut-il être un facteur de régulation d’une économie à la merci de fléau inflationniste (en surchauffe) ?
Contrainte de besoin de trésorerie et de financement additionnel
La dépendance des banques de la banque centrale pour satisfaire leur besoin de trésorerie et de financement additionnel rend l’action par les taux directeurs directe et à probabilité d’efficacité presque certaine. Aussi, face au ralentissement de la croissance (atonie) et à l’envolée de l’inflation, symptômes de la situation que nous vivons actuellement de par le monde, la banque centrale opte pour un relèvement du taux directeur. Ce qui aura pour conséquence un rehaussement du taux d’intérêt débiteur lequel fera baisser la demande de financement des investisseurs et par ricochet ralentira l’inflation. Encore faut-il rappeler que la relation entre taux d’intérêt et taux d’inflation n’est ni automatique ni directe. Elle est une conséquence indirecte de la transition sine qua none par le marché des biens et services réunissant les investisseurs publics et privés. Ces derniers ont le souci évident de répercuter le coût supplémentaire de la ressource sur le prix de revient mais s’arrêteront de le faire au-delà d’un seuil eu égard à la contrainte incessante de ralentissement de la production. Parallèlement, les autres acteurs du marché des biens et services que sont les consommateurs, ils subiront de plein fouet les augmentations des prix ce qui réduira la demande et fera décélérer in fine l’inflation mais ne fera pas pour autant revenir le marché à l’équilibre.
Le contrôle de l’inflation par la demande induit un taux de chômage plus élevé et un taux de croissance toujours en perte de vitesse. Ce qui nécessitera d’autres ajustements supplémentaires. Nous avons ici un effet conjugué de jugulation de l’inflation par le ralentissement de la demande des biens et services de production et par la baisse de la demande des biens et services de consommation résultant par induction de l’augmentation du taux directeur. Cela s’appelle une politique monétaire restrictive.
Action de BAM sur le taux directeur
Face à l’inflation qui s’est établie à 6,6% en 2022 et à l’instar des autres banques centrales de par le monde dont la FED et la BCE, BAM a entrepris entre septembre 2022 et mars 2023 d’augmenter le taux directeur à 3 reprises le portant de 1,5% à 3%. Ce niveau de taux directeur a été maintenu jusqu’à aujourd’hui à 3% au moment où le taux d’inflation a décéléré en 2023 à 6,1%.
Toutefois, dans la perspective du maintien de la stabilité des prix telle que souhaitée par BAM l’augmentation du taux d’intérêt peut-elle préjuger du niveau anticipé de l’inflation ? Constitue t-elle une garantie à un atterrissage vers une stabilité économique ? Ou encore est-elle exempte de risque économique et financier ? Ce n’est pas si sûr !
*Yassine Zarrougui est expert en Banque et Finance
4 commentaires
Merci pour cette analyse pleine d’insights de grande valeur
Merci pour ton commentaire qui fait chaud au cœur. Venant d’un économiste spécialiste du développement, j’en suis extasié. J’espère que nos chemins se recroiseront à nouveau pour m’éclairer de vive voix de tes lumières.
Je reste persuadé que tu peux apporter une valeur ajoutée inestimable aux questions et débats sur des sujets sensibles d’ordre economuque financier et social.
Votre analyse au delà de son empreinte méthologique force indirectement le lecteur à poser lui même des questions et tenter d’y répondre. Ce dont je trouve notre sociéte en a grandement besoin. Des chercheurs qui motivent le lecteur d’approfondire lui même la recherche.
Merci pour votre commentaire résumant convenablement la problématique dans son volet analytique quant aux questions posées. Un témoignage d’un lecteur avisé que j’apprécie au plus haut niveau.