La célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai de chaque année, constitue une nouvelle occasion de parler des questions liées à l’exercice de cette liberté, particulièrement les restrictions imposées pour l’entraver ou la limiter. Cependant, l’éthique journalistique est rarement discutée dans son étroite relation avec la liberté, malgré la complémentarité entre ces deux principes, qui fait de la qualité du journalisme un corollaire de l’engagement envers son éthique.
Par Younes Mjahed*
Car un mauvais journalisme ne saurait être considéré comme une expression de la liberté. Il s’apparente plutôt à une trahison de la confiance du public, se manifestant par la propagation de désinformation, la diffamation, le mercenariat et le chantage…
Au lieu de servir les intérêts de la société, il compromet la liberté de la presse et sa fonction sociale. En partant de cette perspective qui considère que la fonction sociale est l’objectif principal de la pratique journalistique, l’utilisation du critère social s’est développée pour corriger les dérives qui touchent cette profession.
Nonobstant l’adoption de chartes d’éthique et d’organismes d’autorégulation dans de nombreux pays avancés sur le plan démocratique, ces pays ont continué à recourir à diverses révisions de la relation entre la presse et la société. À cet égard, on peut revenir à ce qui s’est passé aux États-Unis en 1942, lorsque la Commission Hutchins a été créée par l’Université de Chicago, à la demande de Henry Luce, fondateur du magazine Time, qui a désigné Robert Maynard Hutchins pour la présider. Après cinq ans de recherche et de concertations, cette commission a fini par publier son fameux rapport intitulé « Une presse libre et responsable ». Parmi les conclusions de celui-ci, figurait l’existence d’une contradiction entre le concept traditionnel de la liberté de la presse et la nécessité de faire preuve de responsabilité.
La presse doit rester une activité libre et privée, mais elle n’a pas le droit à l’erreur car elle remplit une fonction de service public
La responsabilité et le respect de la loi ne constituent pas en soi une restriction à la liberté de la presse, mais sont plutôt une expression authentique d’une liberté positive, opposée à la liberté de l’indifférence. Le rapport ajoute : « Il est devenu courant aujourd’hui que la prétendue liberté de la presse soit synonyme d’irresponsabilité sociale. La presse doit donc savoir que ses erreurs et ses caprices ne sont plus sa propriété privée, car ils constituent un danger pour la société, puisque lorsqu’elle se trompe, elle égare l’opinion publique. Nous sommes face à un défi : la presse doit rester une activité libre et privée, mais elle n’a pas le droit à l’erreur car elle remplit une fonction de service public ».
Ce rapport a eu un impact significatif dans le domaine journalistique à l’époque, car il a utilisé le concept de responsabilité sociale et considéré que la presse a des fonctions essentielles : fournir des informations complètes à travers la recherche et la vérification des événements quotidiens en toute transparence, constituer un forum pour le débat et la pratique du pluralisme et du droit à la différence, s’ouvrir aux différentes catégories de la société avec égalité et équité, éviter les préjugés et les stéréotypes…
Parmi les rapports les plus célèbres connus dans les pays démocratiques figure également le « rapport Leveson », qui contient les conclusions d’une enquête publique menée au Royaume-Uni entre 2011 et 2012, présidée par le juge Brian Leveson, chargé par le gouvernement de réaliser un audit complet sur la pratique journalistique et son respect de l’éthique. Parmi ses principales recommandations : la création d’un nouvel organisme indépendant pour réglementer la presse par le biais d’une législation, et le renforcement de la protection des individus contre les violations de la vie privée et la diffamation…
Sur la base de ce rapport, une « Charte royale » d’autorégulation a été adoptée et approuvée par le Parlement. Les partis politiques de ce pays continuent de discuter des moyens optimaux pour parvenir à une formule juridique permettant la mise en œuvre de cette Charte, en accord avec les éditeurs. De nombreux chercheurs dans le domaine du journalisme considèrent qu’on ne peut concevoir la qualité dans le journalisme sans respect de l’éthique professionnelle.
À ce propos, le Forum du journalisme en Argentine a organisé un colloque international avec la participation d’universitaires, dont les actes ont été publiés en 2007 sous le titre «Journalisme de qualité : débats et défis».
Ce colloque a abordé cette problématique sous différents angles, et sa principale conclusion était que la qualité et l’éthique sont les deux faces d’une même médaille : qualité dans la recherche, investigation et vérification des informations et des données, respect de la vie privée, abstention de la pratique de l’insulte et de la diffamation, utilisation correcte et raffinée de la langue, évitement des erreurs linguistiques…
Parmi les sources de ce livre figure la recherche publiée par la professeure universitaire espagnole spécialisée dans l’éthique journalistique, Soria Carlos, intitulée « Les maladies psychologiques de l’éthique dans les institutions d’information », où elle considère qu’il existe quatre raisons qui imposent l’engagement envers l’éthique journalistique.
Primo, les personnes qui gagnent leur vie en critiquant les autres ont la responsabilité d’avoir une pensée irréprochable. Secundo, travailler peu, de manière médiocre, sans respecter les règles et la qualité requise, constitue la première violation de l’éthique. Tertio, la loi, seule, ne suffit pas. Les institutions doivent mettre en place des systèmes internes pour respecter l’éthique journalistique. Quarto, pour qu’elles soient fortes et unifiées, les entreprises de presse doivent disposer d’un système de valeurs et d’une culture éthique en commun. Tout discours sur la liberté de la presse, tronqué des conditions de son exercice, n’est ni plus ni moins qu’un simple slogan creux.
Outre la nécessité de travailler à fournir le cadre juridique permettant l’exercice de cette liberté, le plus important est que la presse s’engage à respecter les règles professionnelles et les principes éthiques, et s’appuie sur le système de valeurs universellement reconnu dans le domaine du journalisme, dans un cadre institutionnel fort et des systèmes internes où la responsabilité partagée est assumée.
Tout cela ne peut exister que dans des entreprises de presse structurées de manière professionnelle, disposant de ressources matérielles et humaines capables de fournir un produit journalistique digne de ce nom et répondant aux exigences de sa responsabilité sociale.
Younes Mjahed* est journaliste professionnel et président de la Commission provisoire pour la gestion des affaires du secteur de la presse et de l’édition


