La question de la fiabilité de l’information n’est pas nouvelle dans notre culture. Elle y est depuis belle lurette profondément enracinée. Nombreuses sont les références qui soulignent l’importance cruciale de distinguer le vrai du faux. Un exemple particulièrement éloquent se trouve dans le verset coranique (verset 6 de la Sourate Al-Hujurat) : « Ô croyants ! Si un pervers vous apporte une nouvelle, voyez bien clair [de crainte] que par inadvertance vous ne portiez atteinte à des gens et que vous ne regrettiez par la suite ce que vous avez fait ».
Par Younes Mjahed*
Revenir à nos références civilisationnelles et culturelles s’avère essentiel pour résister au flot de désinformation, aux fausses nouvelles et à la sensationnalisation mercantile que les marchands des réseaux sociaux transforment en outils de diffamation, de nuisance et d’enrichissement personnel, sans le moindre égard pour les valeurs nobles que nous devrions partager.
Dans la « Moqaddima (Les Prolégomènes) d’Ibn Khaldoun », qui a jeté les bases de la science de l’histoire et de la civilisation humaine, Ibn Khaldoun insiste de manière remarquable sur la nécessité de vérifier les informations. Il martèle qu’il est capital d’examiner et de décortiquer chaque nouvelle pour en discerner la véracité. Se détourner de l’esprit critique conduit inévitablement à l’acceptation et à la propagation des mensonges. Il pointe du doigt les mécanismes de la désinformation : la confiance aveugle envers les narrateurs nécessite une évaluation méticuleuse.
Nombre de transmetteurs ne saisissent pas réellement l’intention de ce qu’ils rapportent, relayant des récits forgés sur leurs propres suppositions, versant ainsi dans le mensonge. Ibn Khaldoun, qui était en avance sur son époque, évoque les sources d’information qu’il estime impossibles à créditer sans un esprit critique. C’est là l’essence même du travail journalistique : vérifier les sources et leur crédibilité. C’est aussi ce qui constitue le cœur de l’éducation aux médias contemporaine : ne jamais valider une information sans un examen approfondi des sources, puis, comme le dicte Ibn Khaldoun, la soumettre au crible de la raison et de la logique.
L’expérience démontre qu’une société ne peut se passer du journalisme professionnel pour la diffusion de l’information. Celui-ci repose sur des journalistes expérimentés, formés, évoluant au sein de rédactions structurées, encadrés par une charte éthique et des règles déontologiques rigoureuses.
Les réseaux sociaux et leurs « influenceurs » ne sauraient supplanter ce journalisme exigeant sous le fallacieux prétexte d’une « presse indépendante » ou « citoyenne ». Il n’existe qu’une seule presse légitime, professionnelle, objective, crédible, respectueuse des normes et traditions de la profession.
Comme le souligne Abdallah Laroui dans son ouvrage « Le concept de l’Histoire », le journaliste peut être considéré comme « l’historien de l’instant », tandis que l’historien serait le « journaliste du passé ». Les deux s’appuient sur des sources, interprètent les événements, leur seule différence résidant dans le temps accordé à l’analyse. Si le délai se réduit, l’historien devient journaliste, et si le journaliste revient aux informations et les médite après un certain temps, il devient historien.
Leur défi partagé : établir la véracité des faits par un travail d’investigation, des témoins oculaires, ou une couverture des événements sur le terrain. C’est cette rigueur qui définit une presse véritablement indépendante de la manipulation, du mensonge et du sensationnalisme gratuit et de la quête des clics.
Aujourd’hui, l’appât à clics (Clickbait) est devenu un fléau rongeant la presse et les réseaux sociaux. Mus par une soif effrénée de profits, de nombreux acteurs n’hésitent pas à déformer la réalité et à bafouer les valeurs journalistiques fondamentales : précision, objectivité et transparence. Leur unique obsession : capter l’attention coûte que coûte, en usant de titres racoleurs et de contenus dépourvus de sens ou de sources fiables.
Les contradictions et incohérences de leurs écrits importent peu, pourvu que les revenus affluent. C’est pourquoi, dans diverses expériences internationales, plusieurs organisations professionnelles (journalistiques) ont adopté le slogan radical : « Ne cliquez pas ».
Un appel à la résistance contre l’appât du sensationnalisme commercial bon marché qui défigure la presse et les réseaux sociaux.
*Journaliste et Président de la Commission provisoire pour la gestion des affaires du secteur de la presse et de l’édition