Lundi 31 mars 2025, j’ai assisté à une réunion élargie à Paris, organisée par le syndicat des journalistes de la Confédération Générale du Travail (CGT). Cette rencontre s’inscrivait dans le cadre de la campagne lancée pour défendre le service public des médias, en réaction au projet du gouvernement français de regrouper les médias publics au sein d’un holding en vue de leur fusion future. Ce syndicat considère cette initiative comme une atteinte au pluralisme et aux acquis obtenus grâce aux luttes menées par les forces politiques de gauche, les syndicats et les associations de la société civile.
Par Younes Mjahed*
Cette réunion a rassemblé plusieurs leaders d’opinion, intellectuels, chercheurs et éminents journalistes français, ainsi que des députés. Tous ont souligné la nécessité de protéger les médias publics contre la menace d’intervention gouvernementale et les tentatives de mainmise de la droite.
Ces médias continuent de produire un contenu de qualité reflétant le pluralisme et jouent un rôle d’avant-garde dans la lutte contre la désinformation, la propagation du racisme, les discours haineux et la médiocrité véhiculée sur certaines plateformes de réseaux sociaux.
Les militantes et militants du Parti Communiste français ont distribué un dépliant de quatre pages alertant sur les dangers d’une utilisation détournée des technologies modernes de communication, particulièrement avec les possibilités offertes par l’intelligence artificielle pour toutes formes de désinformation. Selon ce document, si cette utilisation n’est pas réglementée et encadrée, et si la profession journalistique n’est pas protégée, la démocratie sera en danger.
C’est pourquoi, lit-on, « nous ne pouvons accepter cela, et nous appelons à une action unifiée entre les citoyennes et citoyens et tous ceux qui travaillent dans les métiers de la culture, de la création libre et des médias sérieux, pour agir au service de la raison et de la pensée critique. ».
Le Parti Communiste n’était pas seul à participer à ce rassemblement. Il y avait également toutes les organisations politiques de gauche, dans leurs différentes nuances, qui ont convenu du danger que représente la révolution numérique pour la démocratie si elle est instrumentalisée par les forces de droite et mercantiles.
Le communiqué du Parti Communiste a consacré plusieurs paragraphes à cette question, notamment celui-ci: « La révolution numérique a permis une circulation massive de contenus à l’échelle mondiale. Les plateformes et réseaux sociaux ont désormais un impact considérable sur l’information et le journalisme. Avec les smartphones sur lesquels les citoyens passent environ quatre heures par jour, ces plateformes et réseaux sont devenus la première source d’information, particulièrement chez les jeunes. Ainsi, les propriétaires de ces technologies jouent le rôle d’éditeur sans assumer les obligations et l’éthique qui en découlent, notamment la distinction entre informations vérifiées et non vérifiées. ».
Le monde fait face aujourd’hui à de nouveaux éditeurs de contenu, rendus possibles par les plateformes mondiales à travers leurs diverses applications. Cela a donné l’opportunité à beaucoup de devenir producteurs de contenu. Si cette évolution est en soi positive pour la liberté d’expression et la créativité, entre certaines mains, elle s’est transformée en véritable malédiction, étant exploitée pour produire des contenus nocifs et utilisée à des fins de diffamation, de chantage et de commerce de bas étage. Ces catégories de personnes ne sont pas nouvelles dans les sociétés.
Karl Marx et Friedrich Engels les ont désignées dans plusieurs de leurs écrits comme le « Lumpenprolétariat », un étrange amalgame de délinquants, de voleurs, de criminels, de prostituées, d’intermédiaires et d’autres groupes marginalisés, victimes des inégalités sociales, qui exploitent leur précarité et s’adaptent à toutes les circonstances. Leur objectif principal est la subsistance, devenant des instruments au service des idéologues fascistes et réactionnaires. C’est pourquoi tous les courants de gauche ont mis en garde contre eux et les ont considérés comme une menace pour la révolution, la démocratie et le progrès.
Au Maroc, certains éléments de ce lumpenprolétariat ont réussi à s’emparer des médias et des outils de communication, produisant des contenus nocifs où prospèrent des personnes identifiées comme déviantes propagent la désinformation et la diffamation. Ils profitent des acquis juridiques et des droits obtenus grâce aux luttes menées par les partis démocratiques, les syndicats militants et les associations sérieuses de la société civile, alors même qu’ils n’ont jamais contribué aux sacrifices consentis pour obtenir ces acquis.
Plus grave encore, ce sont précisément eux qui menacent ces acquis en exploitant de manière perverse ce que d’autres ont réalisé, ce qui nous pousse à réfléchir à la façon de préserver ces acquis contre cet usage dévoyé.
L’UNESCO a publié un rapport le 9 décembre 2022 indiquant une tendance croissante dans de nombreux pays à traiter la diffamation selon le droit pénal. Les données montrent que 39 des 47 pays d’Afrique et 38 des 44 pays d’Asie-Pacifique considèrent la diffamation comme une infraction pénale. En Europe centrale et orientale, on observe un recours accru aux lois pénales relatives à la diffamation, qui restent en vigueur dans 15 des 25 pays de la région, tandis que les délits de diffamation persistent dans 29 des 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes.
En Europe occidentale et en Amérique du Nord, les lois pénales sur la diffamation demeurent en vigueur dans 20 des 25 pays. L’UNESCO considère que les lois sur la diffamation devraient être exemptes de sanctions privatives de liberté. Cependant, lorsque les médias et les réseaux sociaux tombent entre les mains du lumpenprolétariat, toutes les valeurs pour lesquelles des générations de personnes intègres ont lutté se retrouvent exposées à la manipulation et traînées dans la boue.
*Journaliste et Président de la Commission provisoire pour la gestion des affaires du secteur de la presse et de l’édition